Ecrivaine, scénariste et réalisatrice, Aïda Mady Diallo est pétrie de talent. Un talent qui, par modestie et humilité, préfère l’ombre au tapis rouge sous les feux des projecteurs. Auteure de «Kouty, Mémoire de sang» (2002), la charmante Aïda a dirigé le service Web et multimédias d’Afribone, avant d’être aujourd’hui responsable de celui de la production audiovisuelle. Sa mission : créer du contenu audiovisuel pour la télévision. Ce qui s’est traduit par une minisérie, «Karim et Doussou», et récemment par une fiction, «Bamako, la ville aux trois caïmans». Une série de 29 épisodes de 26 minutes diffusée par TV5 Monde/Afrique (la chaîne de la francophonie) de février à mars 2016. Co-scénariste pour «Karim et Doussou» et scénariste pour «Bamako…», Aïda Mady est la réalisatrice des deux œuvres. Nous avons rencontré (le 16 mai 2016) ce talent discret, mais courtois et jovial pour discuter de ses œuvres, des messages véhiculés, de sa vision de son travail… Interview !
Le Reporter Mag : Nous vous avons connue d’abord écrivaine, avec notamment «Kouty, Mémoire de sang». Comment avez-vous glissé vers le cinéma ?
Aïda Mady Diallo: J’ai toujours aimé les images. Même les critiques ont trouvé que «Kouty, Mémoire de sang» était assez imagé…Cela a donc été facile pour moi de passer du roman au scénario, puis à la réalisation.
Quel a été le déclic ?
C’est l’ennui !
Vous-vous ennuyez à ce point ?
Je suis là depuis pratiquement la création d’Afribone en 1998. J’ai été longtemps responsable du service web et multimédias où j’ai fini par m’ennuyer. Mon côté créatif a alors repris le dessus. J’ai donc commencé à proposer des choses à la Direction qui les a approuvées. Je peux dire que c’est pour fuir l’ennui que je suis devenue scénariste.
Revenons à «Karim et Doussou». Quel était le message que la scénariste et la réalisatrice voulaient faire passer ?
Pour moi, la fiction, c’est toujours pour divertir les gens, mais ce n’est pas mal si on parvient à faire passer un ou deux messages. «Karim et Doussou», c’est un couple comme on en voit partout dans notre société dont le mariage est l’un des fondements. À partir du quotidien d’un couple, on peut évoquer tous les problèmes de société. C’était intéressant d’aborder ces sujets à travers cette minisérie.
Il n’y a donc pas de message particulier qui vous tenait à cœur ?
Non ! Notre travail est de divertir les téléspectateurs en leur racontant des histoires susceptibles de les toucher parce qu’elles reflètent en quelque sorte nos vies. Notamment, l’histoire de Makoroba, la mère d’Awa (Dans Bamako…). Une femme déterminée qui se bat au quotidien pour sauvegarder son foyer, en bute à la méchanceté gratuite de sa coépouse Mafitini, également mère de Sata. L’éternelle rivale d’Awa, au point de lui voler son fiancé. On parle tous en ce moment du «Malien nouveau». Si les messages perçus dans nos œuvres peuvent contribuer à l’émergence de ce «Malien nouveau», tant mieux !
Le «Malien nouveau» ! N’est-ce pas une utopie ?
Le rêve n’est pas interdit ! Il faut rêver ! Et il faut rêver en grand, pour espérer au moins un petit changement. De toutes les façons, avec les nouvelles générations, tout est possible.
En 2011, «Karim et Doussou» figurait dans la sélection officielle de la 22èmeédition du Festival du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco, Burkina Faso). Est-ce que cela a été la motivation qu’il vous fallait pour poursuivre dans le 7ème art ?
C’était une première œuvre. Le fait qu’elle ait été retenue dans la sélection officielle d’un Festival prestigieux comme le Fespaco était une grande motivation à persévérer. C’était le signe que nous étions sur le bon chemin.
Et ce bon chemin a abouti à la série «Bamako, la ville aux trois caïmans»…
Nous nous sommes d’abord essayés au court métrage avec les 5 à 6 minutes par épisode de «Karim et Doussou». Ensuite, nous avons choisi de passer aux 26 minutes, histoire de voir ce que cela pouvait donner. Et selon les réactions et les échos qui nous sont parvenus jusqu’à présent, ça à l’air de tenir la route.
Quel est le fil conducteur entre «Karim et Doussou» et «Bamako, la ville aux trois caïmans» ?
C’est toujours nous, les Maliens, notre vécu, nos histoires individuelles et collectives.
La série aurait pu aussi être baptisée «Bamako, la Cité des 3 Gos», car la trame du scénario tourne autour de trois filles (Awa, Fifi et Dily) et de leurs familles ?
Au début, c’était les «Trois caïmans». Mais, derrière chaque Malien, se trouve une ou plus généralement plusieurs familles. Ce n’est pas comme en Occident. Montrer uniquement trois personnages, et faire fi de tout ce qu’il y a derrière, n’aurait pas été réaliste. Il convenait de mettre en lumière tout ce monde qui les entoure et qui fait d’elles ce qu’elles sont.
À notre avis, la série met en avant la notion d’indépendance. On sent une aspiration chez les trois héroïnes à s’affranchir des préjugés et de certaines contraintes socio-culturelles…
C’est curieux que les gens voient les choses ainsi. Des Awa, Fifi et Dily, nous en côtoyons tous les jours. Donc, la série est, à ce niveau là, un peu le reflet de notre société. Notre pays compte beaucoup de femmes indépendantes qui, sans renier leurs racines, s’assument pleinement.
Certes, elles s’assument. Mais, sont-elles aussi indépendantes qu’elles le souhaitent ?
Le fort de la fiction, c’est aussi de grossir les traits !!! (rires)
Est-ce que cette notion d’indépendance n’est pas une quête personnelle de la scénariste et de la réalisatrice ?
Si quête d’indépendance il y a, ce serait une indépendance d’esprit… Nous sommes tous les fruits de nos expériences, de notre culture et de nos histoires personnelles. Peut-être que les trois filles sont prédominantes dans la série «Bamako, Ville aux Trois Caïmans», mais elles n’éclipsent pas pour autant leurs mamans, leurs frères et sœurs, leurs proches… dont le quotidien influence leur vie. Tout est imbriqué.
Elles se veulent indépendantes, mais en réalité, elles sont esclaves des histoires de leurs familles dont elles ne peuvent pas s’affranchir.
Nous sommes tous esclaves des histoires de nos familles. C’est le lot de chacun de nous…
Dans ce cas, peut-on être femme et indépendante dans la société malienne ?
(Rires). Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais je pense qu’à partir du moment où un être humain, homme ou femme, parvient à subvenir à ses besoins fondamentaux, cet être-là est indépendant. Cependant, chez nous, il faut relativiser parce qu’au fond, personne n’est réellement indépendant et cela peut avoir de bons côtés.
La société évolue, mais les mentalités ne sont-elles pas à la traîne ?
Je ne pense pas. Vous êtes un citadin, donc bien placé pour savoir que les Awa, Fifi et Dily existent bel et bien à Bamako.
Elles ne sont pas aussi visibles que dans «Bamako», la série !
C’est un parti pris ça ! Généralement, on donne toujours un rôle fort aux hommes. Pourquoi pas aux femmes ? (Rires). La Malienne est généralement forte, mais silencieuse par humilité.
Expliquez-vous ?
Les femmes sont reconnues pour être le pilier de la famille, n’est-ce pas ? Tenir un tel rôle requiert une grande force. Et en plus, les femmes africaines l’assument dans la discrétion.
Résignées donc ?
En effet, il y a un peu de cela aussi. Mais les Maliennes sont véritablement fortes. Elles ont le dos large. Et il va de soi que la génération de nos héroïnes n’a pas l’intention d’être aussi silencieuse et résignée que celle de leurs mamans. C’est cela aussi l’évolution d’une société.
Peut-on considérer cette série comme votre contribution au combat d’émancipation de la femme au Mali ?
Si la série peut contribuer à faire avancer ce combat, c’est une bonne chose, mais elle n’a pas été conçue dans ce sens. Rien n’a été planifié.
Vous considérez-vous comme une femme émancipée ?
On ne peut pas s’autoproclamer femme émancipée. Ce sont les autres, à travers les opinions et les actes qu’on pose, qui peuvent le dire. Je me définis simplement comme une Malienne dans une société en évolution. Je ne suis pas cette combattante qui va enfourcher sa monture pour aller au front. D’un autre côté, qu’on le veuille ou non, nous vivons dans un monde qui bouge, qui évolue. Donc, les choses vont se faire et d’ailleurs, elles se font déjà.
Vous n’êtes donc militante d’aucune cause ?
Je n’ai pas l’impression d’être une militante. (Rires). C’est bizarre, parce que les gens font souvent cette remarque. Je pose des actes et si ceux-ci s’inscrivent dans le cadre d’une lutte d’émancipation ou de la défense de toute autre cause juste, je m’en réjouis. Sinon, ce n’est pas un objectif premier.
Quoi que l’on dise, les œuvres d’une écrivaine ou d’une réalisatrice sont autant d’opinions émises à l’endroit des lecteurs ou du public ?
Oui et non ! J’ai une thématique et mes thèmes favoris sont en lien avec la société. Sans doute, en écrivant mes œuvres littéraires ou cinématographiques, une partie de moi transparaît. Mais je crée des personnages avec des pensées qui existent. Je cherche toujours à être proche de la vérité, même s’il ne faut pas non plus oublier que nous sommes dans le domaine de la fiction et du divertissement.
L’homosexualité est abordée frontalement dans la série. Est-ce que cela a été un thème facile à traiter avec vos comédiens ?
Mon baromètre, ce sont les personnes qui m’entourent sur le plateau, c’est-à-dire l’équipe technique et les comédiens. Bizarrement, ils n’étaient pas choqués par le thème. Même si certains m’ont fait remarquer que j’abordais la question assez frontalement. C’est ma nature d’aborder les choses de cette façon. Plus de 150 acteurs ont participé à la série. Ce sont autant de caractères. Au final, il y a forcément un peu de tout, comme dans la vie.
Entre Awa, Fifi et Dily, qui reflète mieux Aïda Mady Diallo ?
Aucune ! Il ne faut pas chercher un autoportrait. J’ai peut-être caricaturé des gens que je connais, mais comme je vous l’ai dit plus haut, dans la fiction on force aussi les traits. Sans compter que ces trois personnages (Djiéniéba Hadja Diop, Jeanne Diama et Koumba Dembélé) sont aujourd’hui comme mes filles. En tant que «mère», je n’ai pas de préférence et je ne veux pas faire de jalouses (rires). Les personnages qu’elles incarnent ont des bons comme des mauvais côtés. Ce sont des humains avec leurs défauts et leurs qualités.
Pourquoi la série est passée sur TV5 avant l’ORTM ?
TV5 a été très réactive et elle nous a soutenus dans la production. Vous n’êtes pas sans savoir aussi que c’est une question d’argent. Réaliser une telle série de 29 épisodes de 26 minutes avec plus de 150 comédiens, c’est au moins deux mois de tournage et autant de préparation. Un investissement conséquent s’avère indispensable. Et il faut également rentabiliser la première saison pour espérer pouvoir en produire une seconde. Nous espérons cependant que la télé nationale pourra bientôt diffuser la série.
Êtes-vous satisfaite de l’accueil des téléspectateurs ?
Le feed-back que j’ai, c’est à travers mes comédiens. Et à les en croire, la série aurait été bien accueillie. Je me dis aussi que si TV5 a accepté de s’engager dans ce projet avec nous, c’est qu’elle l’a jugé porteur. Ce qui est déjà bon signe. Depuis la fin de la diffusion, nous n’avons pas encore eu l’opportunité d’échanger sur l’audimat, mais je pense que ce sera chose faite à la fin du mois.
À quand la seconde saison ?
Cela va dépendre en partie de l’accueil qui a été réellement fait à la première saison, et partant, de nos échanges à la fin de ce mois de mai. Autrement, la saison 2 est en cours d’écriture.
Des projets littéraires à l’horizon ?
Je ne sais pas encore. L’écriture de scénarios demande beaucoup de temps. Et il y a également d’autres projets de scénarii en dehors de «Bamako, ville des trois caïmans». C’est cela ma priorité. Je ne pense donc pas à un second roman pour le moment, même si l’écriture n’est pas une chose figée et qu’il est toujours possible d’avancer sur plusieurs fronts au gré de l’inspiration.
Faut-il craindre alors que la scénariste ne tue en vous l’écrivaine ?
Ce qui est bien dans l’écriture, c’est qu’on peut écrire à tout moment. Peut-être que quand je serai à la retraite, j’aurai tout le loisir de me consacrer aux romans.
Vous pensez déjà à la retraite ?
Bien sûr ! C’est dans la nature des choses.
C’est quoi la retraite pour vous, Aïda Mady Diallo ?
C’est pouvoir disposer de mon temps comme bon me semble. Quand on travaille pour autrui, il y a des règles, des deadline à respecter…Disposer de son temps comme bon vous semble, c’est le must de l’indépendance.
Un mot pour conclure ?
Davantage d’attention et d’aide pour les productions audiovisuelles et cinématographiques au Mali. Pour réussir des œuvres de bonne facture, il faut faire travailler beaucoup de monde et le payer décemment. Il faut donc pouvoir disposer de moyens nécessaires.
Est-ce que l’Etat vous appuie comme il faut ?
Je ne peux pas me prononcer pour les autres et ne l’ayant pas sollicité personnellement, je ne peux pas accuser l’Etat. Ce qui a été formidable, c’est qu’Afribone a tout de suite adhéré aux projets proposés. La direction n’était pas obligée de suivre, mais elle l’a fait. Elle m’a accordé sa confiance et c’est un bon point de départ. N’empêche que si au niveau étatique on pouvait avoir de l’aide, ce serait bien, parce qu’il existe beaucoup de porteurs de beaux projets dont la mise en œuvre est simplement impossible, faute de moyens financiers. Je profite de cette opportunité pour remercier les comédiens, l’équipe technique et tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la concrétisation de ce projet. Et ils ont été nombreux !
On se dit donc prochainement à Cannes pour le Festival sur la Côte d’Azur (France) ?
Waouuuh ! Il ne faut pas vous moquer de moi. Le rêve est permis, mais je ne place pas la barre si haut ! Je rêve déjà de pouvoir réaliser la saison 2 de «Bamako, la ville aux trois caïmans» et cela me suffit pour le moment.
On dit que l’appétit vient en mangeant. Mais aussi en écrivant…
N’oublions surtout pas l’énorme charge de travail derrière tout ça. On met carrément une vie entre parenthèse pour pouvoir écrire et tourner un film. Ce n’est pas évident. Mon rêve serait juste de pouvoir tourner un jour un long métrage !
Propos recueillis par Moussa BOLLY
Source : Le Reporter
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