« Pour agir sur l’accélérateur de l’émergence, il appartient aux africains eux-mêmes de prendre à bras-le-corps leur destin en main et non quémander avec insistance auprès de l’occident ». Amadou SY
Du Mali au Madagascar en passant par le Gabon, les 31 pays d’Afrique francophone désirent et sont tous unanimes sur un seul vocable : l’émergence. Pour autant, chacun de ces pays exhibe des spécificités diverses tant au niveau des ressources naturelles que sur les cultures ancestrales. Pour tenir compte de cette immense diversité, on pourrait sans équivoque définir l’émergence comme une impulsion quantitative et qualitative de grande envergure, s’établissant à long terme dans une phase de transition entre les pays « appauvris » et les pays développés. Pour atteindre cette phase, de nombreux indicateurs économiques et sociaux doivent être pris en compte dans la détermination des modèles macroéconomiques. Cela n’est pas le cas dans la grande majorité des pays d’Afrique francophone, par exemple la démographie qui est un élément extrêmement significatif n’est pas pris en compte dans la détermination de la croissance économique.
Au regard de ce qui vient d’être souligné, les Etats doivent mener de profondes transformations structurelles tant sur les aspects politico-économique, sociaux, et sécuritaires. Mais avant, l’attention doit être portée sur la fébrilité de l’Africain lui-même à quémander avec insistance auprès de l’occident.
L’Africain est désemparé entre les Aides Publiques au Développement (APD) et la capacité de s’outrepasser lui-même
L’Afrique doit cesser de quémander avec insistance auprès de l’occident, elle doit se prendre en charge elle-même en faisant usage de ses propres ressources naturelles et humaines. Il est important de rappeler chaque citoyen africain, qu’aucun pays ne s’est développé via l’extérieur. Nous devons stopper l’hémorragie causée par les investissements directs étrangers (IDE) et l’aide publique au développement (APD), qui sont des cadeaux empoisonnés en provenance des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale). L’exemple le plus stupéfiant comme dans d’autres pays d’Afrique francophone est celui du Mali, plus de 80% des investissements réalisés par le gouvernement malien est issu des APD.
De même, les transferts financiers des migrants qui représentent des montants colossaux ne peuvent être la locomotrice du développement d’un pays. Nous avons besoin de mobiliser nos propres ressources internes en utilisant non pas des stratégies importées mais celles crées de nos propres réflexions. Il est également crucial de mentionner que les IDE, les APD, ainsi que les transferts des étrangers représentent environ 2,5 fois le montant des capitaux privés investis par les africains eux-mêmes sur le continent. Pour ce qui concerne les pays les plus « appauvris » comme c’est le cas dans la zone Afrique francophobe, l’aide étrangère continue d’assurer une part substantielle des dépenses budgétaires. Il est temps que ces pays réfléchissent sérieusement sur leur niveau de développement et travailler dans l’unité.
Ainsi, le profit tiré de l’exploitation des ressources naturelles est intégralement expatrié vers l’étranger. Cela est inacceptable d’autant plus que ces flux transférés vers d’autres pays et très souvent ceux de l’occident, représentaient ces quinze dernières années l’équivalent des APD dans la zone Afrique francophone. Ce qui signifie que les APD sont automatiquement retournées aux propriétaires d’une manière indirecte grâce aux activités des filiales des multinationales ou organisations internationales avant-coureurs de ces masses de fonds.
A cet égard, si les pays d’Afrique francophone veulent prendre leur indépendance et être autonome, il est inéluctable de reformer les systèmes fiscaux et d’interpeller concomitamment les gouverneurs des banques centrales. Ils doivent prendre conscience et lancer sans tarder le processus de mobilisation des ressources financières dont dispose les pays d’Afrique francophone (essentiellement dans la zone Franc CFA) au sein de la banque centrale française. Ces centaines de milliards de dollars de réserves qui sommeillent dans les institutions françaises appartiennent aux africains. Ces devises pourront financer de nouveaux projets et contribuer pleinement à l’atteinte de l’émergence tant souhaité par les pays d’Afrique francophone.
Bien évidemment ces quelques réalités ne sont pas immaculées mais elles permettent derappeler l’envergure du défi que se sont s’attelés les 54 Etats membres de l’Union Africaine (l’UA) en adoptant l’agenda 2030 pour l’émergence. Ce plan de développement pour les quatorze prochaines années à venir se fixe pour ambition de diviser par cinq le nombre de pauvres et permettant l’accès d’une grande majorité des africains à la classe moyenne.
Une économie diversifiée se traduisant par une industrialisation plus soutenue
Si l’Afrique regorge éperdument de ressources inestimables, de matières premières non transformées, personne n’est dubitatif sur le fait que l’industrialisation doit être fondée sur la transformation de ces mêmes produits pour la quête de l’émergence. Pourtant, jusque là aucun pays d’Afrique francophone ne peut se dire émergent, c’est un paradoxe. Entre l’or du Mali, le pétrole du Gabon, ou encore la riziculture du Madagascar, les économies sont déséquilibrées avec très peu de diversification. Il faut donc agir rapidement sur l’industrie, parent pauvre de la croissance dans la majeure partie de l’Afrique francophone: elle exige des transformations structurelles urgentes dans les secteurs stratégiques comme l’agriculture. Il s’agit de passer de l’agriculture de subsistance à l’agriculture moderne et auto-suffisante. La convergence vers les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et les formations techniques et professionnelles sont des pistes prioritaires. Quand on sait que le « bazin » qui est un tissu damassé et très porté dans la zone Afrique francophone, n’est aucunement fabriqué par les africains eux-mêmes – il est importé de l’Allemagne, c’est tourneboulant.
Par conséquent, le secteur de l’industrie manque toujours de vigueur dans les pays d’Afrique francophone dont le poids dans les exportations mondiales n’a cessé de régresser depuis les années soixante dix. Celles-ci, dominées par les matières premières, sont assujetties aux vicissitudes des cours internationaux. Dans ce contexte, une grande majorité des Etats considère dorénavant l’industrialisation comme facteur imparable exaltant une véritable transformation de leurs économies. L’exemple d’un pays comme le Rwanda à travers son concept de « Made in Africa » dont les grandes hypothèses sont essentiellement empruntées au cas chinois, incite à prouver que le chemin reste accessible pour les pays « appauvris ».
Dans cette lancée, la Côte d’Ivoire émergente d’ici 2020 tout comme dans le Plan Sénégal Emergent (PSE) à l’horizon 2020, l’industrialisation de l’économie doit être le moteur de l’émergence. Même si l’Etat malien va sans doute augmenté à 15% le poids du budget national attribué au renforcement du secteur industriel, ce dernier reste toutefois vulnérable aux chocs exogènes.
Ainsi, comme dans les autres pays d’Afrique francophone, la veulerie des infrastructures, et les coûts liés à l’énergie et le transport constituent des freins significatifs à l’émergence tant guignée par les africains. Il est nécessaire de revoir à la hausse les taux de Formation Brute de Capital Fixe dans l’optique de dépasser durablement 30 % du PIB, contre environ 20 % actuellement. Cela signifie que les financements dans l’industrie doivent davantage concerner à la fois les moyens de communication, mais aussi l’énergie et les secteurs productifs, et reposent donc sur l’État tout comme le secteur privé.
Enfin, dans ce contexte d’industrialisation le développement du capital humain est une condition sine qua non pour aviver le niveau de l’éducation d’une plus grande majorité des africains. Pour cela, il faut renforcer les formations professionnelles adaptées et cohérentes, chaque gouvernement dans la zone Afrique francophones doit prendre ses responsabilités en mettant en place par exemple des structures dédiées à l’insertion des jeunes intellectuels sur le continent mais aussi la diaspora, qui sont l’avenir du continent. Il en découlera une main d’oeuvre de qualité dont l’économie a éperdument besoin.
Cependant, ces transformations économiques ne donneront leur plein effet que si elles sont associées à des institutions fortes dans un contexte de stabilité politique.
Des institutions fortes dans un contexte de stabilité politique
Lors d’une visite en Afrique pendant son premier mandat, Barack Obama a déclaré que « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions solides ». Il appartient aux africains eux-mêmes de prendre à bras le corps leur destin s’ils veulent se positionner dans l’octave entre les pays « appauvris » et les pays développés. Les dirigeants africains doivent enfin acquiescer qu’aucune Nation n’a atteint la phase d’émergence sans un moment donné pensé de manière collective. C’est le moins que l’on puisse dire. Nous ne cesserons aucunement de répéter qu’il est primordial de réfléchir dans l’unité, qu’il y a urgence de penser au développement du continent, qu’il est impératif pour chaque africain quelque soit sa catégorie socio-professionnelle d’apporter sa pierre à l’édifice. Il en découle une responsabilité partagée des uns et des autres pour une Afrique francophone qui se veut émergent.
Certes, le rôle des Etats à travers leurs dirigeants sera toujours pointé du bout du spectre. Puisque la bonne gouvernance conditionne des institutions stables et solides. La lutte contre la corruption à travers la création d’une structure totalement indépendante et autonome qui s’autofinancera grâce aux fonds perçus des corrupteurs (des corrompus ?). Dans ce contexte, il y aura moins de corruptions, c’est déjà un grand pas vers l’aune de l’émergence !. Si la majorité des dirigeants cesse de percevoir des pots de vin, si la police ne peut plus se faire acheter par quelques billets, et si le diplôme devient inaccessible au trafic d’influence, nos institutions seraient solides dans la stabilité et dans la durée.
Somme toute, le chemin vers l’émergence reste épineux mais atteignable toutefois dans un contexte de nébulosité des différents pays d’Afrique francophone. Ainsi, Il est temps que l’africain arrête de quémander avec insistance auprès de l’occident, afin d’utiliser ses propres ressources naturelles pour l’autonomie intégrale. Ainsi, une forte amélioration de la productivité de chaque facteur de production est en effet nécessaire pour que le nouvel appareil économique construit soit compétitif dans une concurrence internationale de plus en plus ouverte. Ceci implique pour les pays d’Afrique francophone une forte mobilisation des ressources internes, le développement de la recherche et l’innovation, et une volonté d’acquérir les nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est donc au prix de profondes reformes structurelles que nous arriverons à atteindre progressivement l’émergence dans la solidité et la stabilité de nos institutions.
amadouusyy@gmail.com
Amadou SY est Consultant en Diagnostic Economique et Financier, membre du Centre d’Etudes et de Reflexion du Mali (CERM), membre de l’Association des Jeunes pour les Nations Unies à Genève (AJNU), et membre de l’Union pour la Fédéralitude en Afrique (UFA).
La rédaction
The post Pour une Afrique francophone émergente Quelles pistes d’accélération ? appeared first on Koulouba.com.