Les signaux alarmants ont été abondants pendant le mois qui s’achève. Et méritaient d’être déchiffrés avec plus de profondeur
Temps de commémoration, temps de réflexion. Mais également temps de cogitation et temps de proposition. Au Mali, la dernière semaine du mois de mai offre une tribune quasi idéale pour que s’y expriment aussi bien les nostalgies que les critiques ; aussi bien ceux qui relèvent les inexorables ravages du temps que ceux qui affirment leur foi en un avenir porteur de perspectives prometteuses ; autant les procureurs qui s’alarment du désagrègement des valeurs que les avocats qui annoncent l’émergence de nouvelles convictions ; autant les adeptes des slogans grandiloquents que les partisans de la petite phrase assassine. Mai s’éteint aujourd’hui et il aura donc proposé un agenda bien rempli qui a fait côtoyer l’incontournable journée de l’Afrique avec les journées anniversaires de la création de ces anciens frères ennemis qu’étaient au sommet de leur gloire les partis Adema-PASJ et CNID-FYT (tous deux fêtent cette année leur quart de siècle d’existence) ainsi que la journée du 29 mai consacrée aux Casques bleus.
Sans surprise (il faut malheureusement le reconnaître) chaque évènement a été plus approché sous l’angle de la célébration que sous celui de l’introspection. Il n’y a rien de vraiment surprenant dans cette option quand on sait que la seconde démarche réclame un travail sans complaisance aussi bien sur la mémoire que sur l’actualité, alors que la première se satisfait largement d’un mélange de jugements neutres et de vertueuses exhortations. On avait auparavant et tout particulièrement constaté ce déficit de profondeur dans la commémoration, même lorsqu’il s’agissait de dates exceptionnelles. Comme l’était par exemple celle du 25ème anniversaire de la Révolution de Mars. Il n’y avait pas, en effet, de circonstance mieux appropriée pour réfléchir sur l’évolution de la démocratie malienne. Or, l’événement le plus marquant à cette occasion s’avéra paradoxalement être la sortie de l’ouvrage collectif « Le Mali sous Moussa Traoré », ouvrage qui remettait en cause la légitimité historique de Mars 1991.
INADAPTATION ET INCAPACITÉ. Un tel hiatus ne s’est pas retrouvé lors des différentes célébrations de la semaine passée. Mais celles-ci sont restées très convenues, si on excepte l’intense émotion lors de l’évocation des dernières victimes du terrorisme dimanche dernier. Pourtant, aucun des domaines évoqués par les commémorations n’est en lui-même bénin. En cette période particulière que traverse notre monde, se dispenser d’une analyse courageuse expose presqu’inévitablement à devenir plus vulnérable et se condamner à subir les exigences d’une réalité de plus en plus complexe et aux évolutions de moins en moins prévisibles.
Car aujourd’hui, toute erreur de diagnostic sur une situation majeure se paie de manière très souvent dramatique et rend incertaines les voies de sortie de crise. Or, notre pays a payé un trop lourd tribut aux fautes commises en 2012 pour ne pas se trouver définitivement échaudé et pour ne pas s’investir afin d’éviter que ne se déclenche un nouveau cycle d’incertitudes. Il lui est donc indispensable de faire entendre très tôt et très fort à ses partenaires ses inquiétudes sur la situation sécuritaire.
Cette année, la commémoration de la Journée des casques bleus aurait dû être pour l’ONU l’occasion d’annoncer qu’elle envisageait de repenser la philosophie d’action des forces de maintien de la paix. Non seulement à la lumière des graves scandales qui ont entaché l’honneur des troupes internationales (69 cas d’agressions sexuelles en 2015 dont 22 en République centrafricaine et 16 en République démocratique du Congo). Mais aussi en raison de l’inadaptation flagrante des formules en usage et de l’incapacité de plus en plus flagrante des forces déployées à juguler les dangers auxquels sont confrontées les populations qu’elles ont mission de protéger. De cette inadaptation et de cette incapacité, notre pays a été malheureusement témoin dès les premiers mois du déploiement de la MINUSMA.
Pendant un très long temps, les autorités maliennes – essentiellement par la voix du ministre chargé des Affaires étrangères – avaient formulé de multiples alarmes sur l’ambiguïté de la mission affectée aux Casques bleus et sur l’insuffisance des moyens dont ceux-ci étaient dotés. A une certaine époque, le message malien peinait à se faire entendre aussi bien dans l’enceinte des Nations unies qu’auprès des responsables de la MINUSMA. Jusqu’à ce que Ançar Dine, après avoir testé les capacités de ses futures victimes, porte le feu jusqu’au cœur du camp de la Mission à Kidal. Mais à peine la gravité de la menace djihadiste avait-elle été admise que déjà le combat avait changé de visage. Les attaques qui se sont égrenées avec une sinistre fréquence tout au long du mois de mai dans différentes zones de Mopti, de Tombouctou et de Gao indiquent sans équivoque un regain apparemment coordonné des actions terroristes. La preuve de cette coordination est donnée à travers les similitudes relevées dans l’organisation des attaques complexes qui se sont abattues sur la MINUSMA et sur les FAMas. Attaques combinant l’utilisation de mines et le mitraillage des cibles militaires.
SE RALLIER À L’ILLUSION. Déchiffrer la tactique actuelle des terroristes est relativement facile. En se référant aux calculs coutumiers de ce type de groupes, on peut voir dans les dernières actions menées la volonté de semer un surcroit d’insécurité avant que l’hivernage tout proche n’amène un ralentissement des agressions, le désir de prouver que les déstabilisateurs disposent d’une importante marge de manœuvre dans des zones toujours sensibles, la tentative de démontrer l’inanité de l’Accord pour la paix et la réconciliation sur l’amélioration de la situation sécuritaire et spécifiquement dans la région de Mopti, la démonstration d’une montée en puissance en allant plus loin que les escarmouches perpétrées jusque dans un passé récent. Mais quelque soit la signification qui peut être donnée aux différents signaux, l’importance de ces derniers ne peut être sous-estimée et rend urgent l’endiguement des périls. Surtout dans les zones de Mopti où les bandes armées se sont taillé des enclaves d’influence à la faveur de l’absence de l’Etat. Et où la situation se trouve compliquée par le réveil des contentieux locaux anciens.
Ici, les autorités ont une double conviction à inculquer aux populations de la 5èmeRégion. Primo, que l’autodéfense et le repli communautaire constitueraient des causes supplémentaires d’instabilité. Secundo, que dans les zones qui ne sont pas encore infestées le choix de fournir aux autorités les indispensables renseignements reste encore la meilleure manière de se prémunir, ainsi que le démontre la vigilance constamment en éveil dont font preuve les brigades civiques au Cameroun. Ces deux impératifs sont indispensables à faire accepter aux habitants, car la pire attitude à laquelle que l’Etat pourrait être confronté serait que les citoyens finissent par se rallier à l’illusion (car c’en est une) qu’ils sont capables pour leur protection de trouver une solution en dehors de lui.
Dans ce contexte de nouvelle dissémination des dangers, les dernières péripéties survenues au sein du Comité de suivi de l’Accord et marquées par la suspension par la CMA et la Plateforme de leur participation aux réunions de cet organe, paraissent presque ubuesques. Le CSA avait pris un très mauvais départ en s’enlisant dans une interminable bataille pour la représentation en son sein des groupes armés ou proclamés comme tels. Il avait ensuite gaspillé un temps considérable à se donner une méthode de travail et à aborder les sujets d’importance. En outre – et alors que beaucoup l’imaginaient comme une structure d’impulsion – il a fini par ressembler à une espèce de commission de conciliation dans laquelle l’essentiel des énergies est consacré à examiner les revendications contradictoires ou solidaires de la Coordination des mouvements de l’Azawad et de la Plateforme.
L’opinion, qui peine à suivre toutes les subtilités des marchandages post Accord, ressent de plus en plus la désagréable impression de retourner aux temps les plus éprouvants des négociations d’Alger quand les avantages particuliers à retirer de la paix paraissaient plus importants aux yeux de la CMA que l’échange de concessions mutuellement acceptables. Or, le ressenti populaire représente une donnée non négligeable dans l’application de l’Accord. Aujourd’hui plus que tout autre facteur, l’aspiration à la sécurité constitue le véritable ciment qui fait adhérer la majorité silencieuse au document issu du processus négociations d’Alger. Cela, les principales forces politiques du pays s’en rendent bien compte. Mais presqu’aucune d’elles ne développe une réflexion et une action profondément originales sur le sujet.
REVENUE DES EMBALLEMENTS POPULAIRES. La dernière semaine de mai a été à cet égard suffisamment édifiante, elle qui a enregistré la tenue des assises des Tisserands, des Abeilles, du Soleil levant et du Bélier blanc. Pour se faire une idée des soucis dominants de ces formations, il suffisait de prêter attention aux préoccupations exprimées par les conférences régionales du RPM, aux ambitions dévoilées par le PASJ lors de l’événement commémoratif de ses 25 ans, aux analyses développées par le CNID pendant la conférence consacrée à son quart de siècle d’existence. Il fallait ajouter à ces éléments les grandes propositions en faveur de la refondation de l’Etat avancées par le PARENA lors de son récent congrès et l’énergie toujours déployée par l’URD afin de rendre définitivement caduques les accusations portées par un média sénégalais contre son président.
Dans tous les discours, il a été beaucoup question du perfectionnement du fonctionnement interne des différentes formations, de l’amélioration de l’écosystème partisan et de la revitalisation de la démocratie malienne. Ces thématiques, tout utiles et même indispensables qu’elles aient été, collaient-elles aux exigences premières du temps ? Pour y répondre, il serait intéressant de recourir aux résultats d’un sondage de l’institut IPSOS réalisé auprès de jeunes résidant dans 14 pays africains (anglophones et francophones), sondage évoqué dimanche dernier par notre excellente consœur Denise Epoté. La directrice Afrique de la chaîne TV5 Monde indiquait que dans cette étude les problèmes d’emploi (69%) venaient en tête des préoccupations des sondés. Puis arrivaient ceux amenés par le terrorisme (50%). L’intérêt pour la défense des valeurs démocratiques se trouvait en troisième position et ne mobilisait que 39% des jeunes approchés.
La génération montante du continent est donc bien revenue des emballements populaires qu’avait suscités l’ouverture politique au début des années 1990. Sans être nostalgique des autoritarismes anciens, elle ne voit dans la démocratie ni la chance d’emblée d’une vie meilleure, ni un stimulant d’énergies. Sans grand risque de se tromper, l’on pourrait dire qu’un scepticisme similaire se retrouve certainement dans les classes d’âge supérieures. Une réalité extrêmement préoccupante est là : les appareils politiques traditionnels voient ces derniers temps s’accentuer leur difficulté à trouver un argumentaire accepté par les simples citoyens.
Cette impuissance à être intelligible se constate même dans les grandes démocraties et les réflexes contestataires, qui prospèrent, amènent sur le devant de la scène publique des intervenants atypiques. La conséquence du phénomène est toute autre en Afrique. Ici, il faut surtout craindre que la faiblesse de proposition des élites politiques amène un affaiblissement du lien national. Et encourage divers particularismes. Ce danger pointe tout juste. Mais il faut déjà en prendre la mesure.
G. DRABO
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