«Si tu ne peux organiser, diriger et défendre le pays de tes pères, fais appel aux hommes plus valeureux.» (L’hymne de l’empire du Wassoulou au 19e siècle ; bâti par Samory Touré en Afrique de l’Ouest).
Un certain 15 mai 2015, «l’Accord pour la paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger» était, semble-t-il, signé à Bamako en grande pompe. Un après, le constat est l’extension de la violence sur l’ensemble du territoire avec son corollaire de reflux de l’administration des localités du centre du pays et leur abandon pour le pouvoir central. La mauvaise gouvernance et surtout de déficit d’Etat lié à l’immobilisme et au manque d’initiative du gouvernement rendent la situation encore plus dangereuse pour l’ensemble de la nation. Le pays vit dans les incertitudes, et surtout dans une absence de visibilité qui pèse sur les populations. Les Maliens ont la nette impression d’une «action publique sans but, d’un exercice du pouvoir qui tourne à vide…».
Un an après, le Mali est un Etat en décomposition plus avancé, un pays à l’abandon dans lequel on cherche à imposer de prétendues autorités intérimaires qui ne sont en réalité que la préfiguration de nouvelles administrations d’Etat. C’est pourquoi elles commencent par la dissolution de l’administration malienne ainsi que les symboles de l’Etat démocratique : les élus(es). Les groupes armés qui sont à la manœuvre dans cette opération, sont aussi utilisés comme soupapes d’épuration d’un système à bout de souffle, ce qui leur permet de mener le pays du bout du nez. L’accord d’Alger dit de paix signé à grand renfort de corruption, reste un catalogue d’intentions au total malveillant pour la survie de la nation.
Pendant ce temps, notre pays, dont la vacuité du régime est à la mesure de la déception des populations, continue à entretenir un système de prédation qui n’épargne aucun secteur de la vie nationale, même les nomenclatures des gouvernements successifs en portent la marque. Le pire, le plus déshonorant est le sort fait à notre armée nationale. Celle-ci évolue dans le délabrement le plus complet, et est devenue la cible privilégiée du système de prédation qui s’est installée au pouvoir. Les surfacturations dénoncées par l’ensemble de la nation et même les institutions internationales n’étaient en fait que la partie visible de l’iceberg. Notre armée est privée de ressources et volontairement cantonnée sur son propre territoire par un pouvoir politique complètement grabataire.
Cette situation, nous l’avons suffisamment dénoncée dans une précédente chronique. Mais le président restant sourd à tout conseil, la sécurité du Mali est sous-traitée aux milices et autres groupes armés, et le Pouvoir lui-même prend pour acquis que sa propre survie ne dépend que de la mansuétude des groupes armés, en particulier celle de la CMA qui est désormais utilisée comme seule stratégie possible de reconquête de Kidal.
Malgré tout, ces derniers évoluent constamment en dehors de l’accord d’Alger.
En effet, ce que ces groupes ont appelé «le processus de Anefis» est, semble-t-il, sur le point de remplacer le fameux accord pour la paix et la réconciliation au Mali. L’illustration finale de l’incapacité de notre direction nationale a été donnée au dernier sommet de l’UA dans cette terrible phrase : «les terroristes nous empêchent de mettre en œuvre la paix». Un prétexte fallacieux qui fait de notre pays la risée du monde. Car tout le Mali connaît qui sont les terroristes, on ne peut plus les chercher loin. Ils sont dans les groupes armés et leurs démembrements à travers le pays. La dignité de notre armée en a pris un sérieux coup, car on lui manque du respect, en le présentant à la face du monde comme une armée d’incapables, sans patriotisme, une bande de «soldats dépenaillés», pour reprendre l’expression du Premier ministre Moussa Mara dans sa Déclaration de Politique Générale. Plutôt que de lui restaurer un mental de fer, de l’équiper, après la formation assurée par les experts européens, on en vient à justifier le détournement de ses ressources par un accord qui ne permettrait pas la montée en puissance de notre armée. Plutôt que de créer des liens de confiance entre elle et le peuple, on l’isole davantage du peuple.
Cette Institution majeure de la nation qui a besoin de savoir qu’elle est aimée du peuple et qu’elle est respectée de l’autorité légitime, a été conduite à une défaite dans le seul but de la conservation d’un pouvoir dérisoire. Il y a fort à craindre que notre armée reste pour longtemps constamment endormie et ses ressources entre les mains d’une kleptocratie, à nulle autre pareille dans la sous-région, amoureuse des paradis fiscaux comme «Turquie Caicos» ou des banques françaises d’Asie mineure. Voilà comment une des meilleures armées du continent a été transformée en fantôme dans le désert. Une armée trahie et un peuple volé et nargué par ses dirigeants. L’incompétence et la médiocrité se lisent dans la gestion de toutes les tragédies que notre pays a connues durant ces quatre dernières années. De Sévaré à Radisson Blu Hôtel en passant par La Terrasse, après chaque tragédie liée aux crimes de terrorisme, le pouvoir ne délivre aucun message et de perspectives d’avenir à l’endroit du peuple, en indiquant clairement les actions entreprises.
Face à l’insécurité, la fatalité a été le seul message qu’il a trouvé pertinent à livrer aux Maliens. Aussi, la défaillance au sommet de l’Etat, l’incapacité à gouverner le Mali sont-elles la cause de toutes dérives auxquelles le pays est soumis. Les récents affrontements dans le cercle de Tenenkou, la révolte des populations à Yelimané en sont les illustrations. En effet, la situation créée dans les localités de Koroguiri et de Maleimana est de la seule responsabilité du président la République, parce qu’elle est née de l’absence de nos forces armées et de sécurité dans les zones concernées. L’Etat y a totalement délaissé les populations entre les mains des hommes de Amadou Koufa, créant ainsi dans l’esprit leur sentiment d’abandon, d’où des velléités à défaut d’être armé de créer des milices d’autodéfense. Les victimes des affrontements intercommunautaires dans les localités de Koroguiri et de Maleimana sont celles de la mauvaise gouvernance du pays. Que dire de la situation à Yelimané ? Personne ne doit sous-estimer les sit-in des Maliens de Yélimané à Paris et à New York etc., le pire n’arrivant pas qu’aux autres, les Maliens doivent prendre en main leur pays. Car la situation en Yélimané prend sa source dans le sentiment de plus en plus généralisé qu’il y a des Maliens de seconde zone face à ceux qui bénéficient de tous les privilèges y compris prendre les armes contre la nation en toute impunité.
En vérité, le pays va en laisse-guidons, face à l’échec patent d’un homme et pour mettre fin à l’abandon de notre pays qui va à la dérive, notre nation a clairement besoin de reprendre son destin. C’est dans ce sens qu’il faut entendre «l’Appel à la Marche pour le Mali» de l’opposition démocratique et républicaine, une marche pour faire entendre le sanglot de la nation victime des effets destructeurs de la gestion familiale du pays. Il ne fait aucun doute que notre pays a besoin d’un acte fondateur qui rappelle la conférence nationale de 1991, un espace de dialogue à mi-chemin entre une instance révolutionnaire et les assises nationales du Sénégal, qui devra être tenue dans un contexte démocratique et serein. Cela est à la portée de la nation malienne, mais, il n’est pas dans l’entendement du pouvoir en place, là est le problème du pays face auquel le peuple se doit de se déterminer. Un citoyen malien l’a récemment souligné, il est temps que nos dirigeants et le peuple se rappellent l’hymne de l’empire du Wassoulou du 19e siècle : «Si tu ne peux organiser, diriger et défendre le pays de tes pères, fais appel aux hommes plus valeureux ; si tu ne peux dire la vérité en tout lieu et en tout temps, fais appel aux hommes plus courageux. Si tu ne peux pas être impartial, cèdes le trône aux hommes justes. Si tu ne peux protéger le peuple et braver l’ennemi, donnes ton sabre de guerre aux femmes, elles t’indiqueront le chemin de l’honneur…».
Souleymane KONE
Source : Le Reporter
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