L’une est demandée par l’opposition, l’autre est prônée par la majorité. Toutes deux sont également indispensables par les temps que nous vivons
Signe du déferlement mondial des urgences et des alertes, l’agenda politique classique relève désormais du très lointain souvenir. Chez nous, par exemple, et en des temps plus paisibles, ce mois de mai aurait constitué la porte d’entrée vers un ralentissement des activités qui se serait poursuivi jusqu’en septembre. Ralentissement amené tout d’abord par le mois de Ramadan qui installait traditionnellement une certaine torpeur dans le pays et qui faisait décaler pour après sa clôture les activités non essentielles. Ralentissement prolongé ensuite par le bimestre de l’assouplissement international que constituaient dans un passé encore récent juillet et août. Les affaires sérieuses auraient alors attendu septembre pour revenir au devant de la scène.
Mais aujourd’hui sur notre planète et dans certaines des zones les plus troublées, la période du jeûne musulman est même redoutée, parce que choisie par les extrémistes comme propice aux coups d’éclat meurtriers. Plus personne ne s’aventure donc à programmer dans l’actualité des périodes de trêve ou de pause. La montée des radicalismes, l’inclination à la stigmatisation, le choix de l’affirmation identitaire, le repli dans la solidarité communautaire et la multiplication des actes violents posent de vrais dilemmes aux autorités, dont certaines sont logiquement tentées par une réponse d’abord sécuritaire. Les mêmes phénomènes désorientent tout autant des populations qui, bousculées dans leur vivre ensemble, interpellent avec exaspération l’Etat, mais tentent aussi – et de plus en plus fréquemment – d’organiser leur propre riposte. Les repères anciens vacillent donc à une époque qui fait malheureusement le lit des populistes et des propagateurs de vérités supposées nouvelles.
La plupart des secousses énumérées plus haut atteignent depuis 2012 notre pays dont les populations s’accoutument mal au fait de voir leurs espérances à peine nées que déjà contredites. Nos compatriotes ne s’étaient guère mobilisés contre le putsch du 22 mars, car ils pensaient que l’électrochoc provoqué par l’événement mettrait fin au traitement hasardeux de la situation au Nord du pays et à la déliquescence de l’autorité de l’Etat. Mais ils avaient assez rapidement constaté qu’ils avaient troqué Charybde contre Scylla et que la Transition générait plus d’interrogations qu’elle n’amenait de rectifications. Ils avaient applaudi à la reconstitution de l’intégrité territoriale amenée par l’offensive éclair déclenchée par Serval appuyé par les troupes maliennes, mais avaient assisté avec dépit à l’interruption du processus salvateur par le traitement particulier accordé à la ville de Kidal.
EN RATISSANT LARGE. Ils étaient convaincus en 2014 d’une complète revitalisation des FAMAs avant de subir le traumatisme national que constituèrent les événements du 21 mai. Ils avaient espéré que la normalisation s’amorcerait de manière décisive après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, ils prennent désormais la mesure de toute la complexité et de toutes les difficultés du combat à mener encore contre le terrorisme et de tous les obstacles dressés par ce dernier sur le chemin de la reconstruction. Il n’existe pas dans notre pays d’instruments permettant de mesurer régulièrement l’état de l’opinion nationale. Mais il ne faut pas un grand effort d’imagination pour imaginer cette dernière lasse des obstacles rencontrés ces quatre dernières années et impatiente d’enregistrer des améliorations continues qui porteraient aussi bien sur le quotidien des citoyens que sur la sécurité générale dans le pays.
Opposition et majorité ne pouvaient rester passives devant le tourbillon incessant des questions. Chacune a par conséquent essayé le week-end dernier de donner sa part de réponse à l’interpellation implicite des populations. La première l’a fait en soulignant les insatisfactions du moment. La seconde en insistant sur la nécessité de rétablir une vraie entente nationale. L’opposition s’est employée à capitaliser les mécontentements sociaux pour organiser sa marche pacifique de samedi passé. Dans le message annonçant l’événement, les organisateurs avaient ratissé très large pour l’énoncé des motifs. Ceux-ci allaient des accusations de mauvaise gouvernance aux ruptures de fourniture d’eau et d’électricité en passant par les critiques sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Les initiateurs de la marche avaient aussi renforcé leur capacité de mobilisation en se ralliant une aile « société civile » constituée d’associations contestataires.
Au total, l’opposition devrait être satisfaite du nombre de marcheurs réunis à un moment où ce mode de mobilisation ne fait guère recette. Il lui reste à présent à attendre la réponse aux appels lancés par elle. Soumaïla Cissé avait, dans son intervention finale, déploré la difficulté qu’avaient les formations de l’opposition à nouer un dialogue dépassionné avec la majorité présidentielle et à faire entendre leurs propositions sur la gestion des difficultés actuelles. Parmi les suggestions de création de futurs espaces d’échange présentées par le chef de file des opposants, l’on notera l’organisation d’ « assises nationales pour la refondation de l’Etat » et « le retour au dialogue pour contenir le malaise social ».
La première proposition n’a, à notre avis, aucune chance d’être examinée. Elle se ramène en effet à l’organisation d’une sorte de Conférence nationale au cours de laquelle seraient mis à plat les grands dossiers de la nation. Adhérer à un tel scénario reviendrait pour la majorité présidentielle à reconnaître explicitement son incapacité à produire les solutions idoines. La seconde proposition, plus modeste dans son objet et plus précise dans ses objectifs, se heurtera vraisemblablement aux divergences internes au RPM. Les Tisserands sont en effet divisés entre deux courants opposant d’une part, les partisans d’un fonctionnement « autocentré » qui recourrait qu’occasionnellement à l’appui et à l’avis des autres formations (même celles alliées) et d’autre part, les adeptes d’une démarche inclusive alliant concertation avec les autres composantes de la majorité et échanges avec les opposants.
INTENSE, MAIS BRÈVE. Malgré l’encouragement explicite donné par le président de la République à la seconde tendance, c’est pour le moment la première qui s’exprime le plus fréquemment, notamment par la voix du Secrétaire général du parti. La ligne isolationniste devrait vraisemblablement prévaloir jusqu’à ce que le Congrès du parti formule une ligne tactique claire sur cette question. Et jusqu’à que soient mis fin au clanisme et aux batailles de positionnement dénoncés avec une pointe d’agacement par le président Boulkassoum Haïdara lors de la conférence régionale du Rassemblement tenue dimanche dernier à Bamako.
Le second événement marquant du samedi passé mérite un décryptage particulier. Non pas pour amoindrir le mérite des organisateurs. Mais pour partager trois remarques sur ce meeting pour la paix et la réconciliation au Mali qui s’est tenu au Palais de la culture. Primo et par les temps que nous vivons, aucun plaidoyer ardent en faveur d’un engagement sans calcul et sans réserve en faveur de la paix et de la réconciliation ne s’avère superflu. Surtout au regard des traumatismes que subit encore notre Septentrion et dont les ondes de choc se propagent sur le reste du territoire national. Deuxio, les dissensions politiques dont l’extinction a été souhaitée par plusieurs intervenants sont de nature absolument différentes. Il y a d’abord celles amenées par les changements brutaux de régime qu’ont constitué le putsch de novembre 1968 et le coup d’Etat qui accompagna la Révolution de mars 1991. Ces deux épisodes de totale rupture ont logiquement généré des mises à l’écart assez brutales et des stigmatisations persistantes, surtout dans la nomenklatura politique et administrative.
Mais les fractures créées se sont fortement atténuées depuis, même si les protagonistes marquants demeurent sur des positions idéologiquement inconciliables. Ainsi que l’a d’ailleurs souligné la récente parution de l’ouvrage collectif « Le Mali sous Moussa Traoré ». Mais le fait même que la passe d’armes entre certains des auteurs du livre et leurs contradicteurs venus du Mouvement démocratique ait été certes intense, mais brève et circonscrite indique bien qu’un certain type d’affrontements indiffère complètement la majorité silencieuse des Maliens.
D’autre part, et à notre perception, il ne s’est pas créé entre les partisans des présidents Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keïta des antagonismes si forts qu’il est nécessaire d’organiser un événement solennel pour les surmonter. Il existe, certes, entre les membres de cercles politiques proches de ces personnalités des contentieux, des rancoeurs et des malentendus. Mais, à notre avis, ce genre de conflits représente un aspect inévitable de l’exercice du pouvoir et une conséquence prévisible de toute alternance politique.
PLUTÔT LA DÉCRISPATION. Or, notre pays a vécu trois de ces dernières depuis 2002. Chacune d’elles a produit son contingent de personnalités partisanes laissées au bord du chemin, de chamboulements dans la haute administration et malheureusement de victimes de règlements de comptes. Mais ces phénomènes, tout regrettables qu’ils soient, n’ont pas généré de fractures d’ampleur dans le corps social malien. Surtout que les chefs d’Etat cités n’ont jamais posé d’actes qui auraient laissé supposer une animosité persistante entre eux.
Tertio, si le retour de l’entente a été le vœu partagé de tous les intervenants, les visions énoncées sur la manière de l’amener ont parfois divergé de manière assez nette. Cela s’est constaté essentiellement dans l’approche de la situation de Amadou Toumani Touré. Pour Hamane Touré, président des clubs et associations de soutien à ATT, il est urgent et indispensable pour l’Etat de réhabiliter l’ancien président et de le réinstaller solennellement dans tous ses droits.
Amadou Koïta, président du Parti socialiste Yélen Koura, estimait, lui, au nom de l’opposition que le retour « du soldat du développement » (retour consolidé par une prise de position nette de l’Assemblée nationale) symboliserait la restauration dans notre pays des pratiques d’écoute et de contact. L’éclairage était tout à fait différent du côté du député Moussa Timbiné, président du comité d’organisation de l’événement, qui saluait explicitement dans le retour de l’ancien président la capacité bien connue du Mali à pardonner pour continuer à aller de l’avant.
Il serait cependant superfétatoire de s’appesantir outre mesure sur ces nuances. Il nous semble par contre indispensable de souligner le fait que les divergences qui opposent les différents acteurs politiques n’ont pas atteint le degré critique qui mettrait véritablement en danger l’unité nationale. Ceci pris en compte, le terme « décrispation » reflèterait de manière plus exacte certains enjeux du meeting que celui de « réconciliation ». Cette remarque, répétons-le, n’enlève absolument rien au mérite des organisateurs. Car dans le contexte actuel, la décrispation politique, si elle devient effective, constituerait un atout supplémentaire dans la recherche commune de solutions.
Notre pays bénéficie d’un avantage : il s’est jusqu’ici épargné la montée des surenchères, telle que celle-ci se constate dans d’autres Etats en difficulté où la dramatisation délibérée vient s’ajouter aux tensions pour compliquer la sortie de crise. Nos compatriotes, eux, ont conscience qu’au-delà d’un certain seuil de fragilisation politique, économique et sociale, le pays peut partir dans une tragique dérive. C’est pourquoi la majorité d’entre eux, sans taire leur amertume devant les difficultés persistantes, restent à distance de ce qu’ils perçoivent comme des radicalisations inappropriées. C’est pourquoi aussi dans l’opposition, les voix les plus raisonnables déplorent que leur soit déniée par certains de leurs adversaires la sincérité de proposition.
Or, le moment est à l’écoute de toutes les alertes, d’où que celles-ci viennent. Il est aussi à une évaluation lucide des menaces dont les manifestations se sont additionnées au cours des deux semaines passées. Sur la nature autant que sur la persistance des périls, il n’y a malheureusement pas à se méprendre.
G. DRABO
PS – Dans notre chronique du mardi 17 mai, une malencontreuse inattention nous avait fait évoquer la Région de Tessalit. Nos lecteurs auront certainement rectifié d’eux-mêmes et compris que nous parlions de la Région de Taoudénit. Toutes nos excuses cependant aux ressortissants de l’entité administrative qui se mobilisent pour faire tenir à celle-ci son rang.
Source : L’ Essor
The post L’avenir politique au Mali : L’ECOUTE ET L’ENTENTE appeared first on Koulouba.com.