Près d’un an après la signature d’un accord de paix par le gouvernement et les groupes armés du Nord du pays, les 15 mai et 20 juin, “le Mali est dans une situation quasi-inextricable”, a déploré mardi Tiébilé Dramé, président du Parti pour la renaissance nationale (PARENA, opposition), dans une interview accordée
Le samedi 15 décembre 2015, vous avez organisé une conférence qui avait pour thème “Ensemble, sauvons le Mali” et à laquelle ont pris part des acteurs de la crise malienne (gouvernement, Plateforme, CMA). Cette initiative a-t-elle eu un impact sur l’évolution des choses ?
Le 15 décembre 2015, nous (opposition) avons voulu tirer la sonnette d’alarme sur l’immobilisme dans lequel le processus de paix était plongé. Il y avait un enlisement évident. Nous avons réuni majorité et opposition et les responsables des groupes armés présents à Bamako à l’époque, pour ensemble tirer la sonnette d’alarme. Vous avez pris des engagements à Alger, vous avez apposé votre signature les 15 mai et 20 juin 2015 sur un document, vous avez l’obligation de le mettre en œuvre, ne traînez pas les pieds.
Je crois que ça a servi à quelque chose parce qu’il y a eu un branle-bas. Souvenez-vous à cette période-là, la 6e session du Comité de suivi de l’accord (CSA) s’était tenue dans des conditions extrêmement difficiles. Cela s’était quasiment terminé par des ultimatums qui avaient été posés par les responsables des groupes au gouvernement. Le fait que les partis de l’opposition aient pris une telle initiative a montré très clairement qu’ils souhaitaient éviter à notre pays les désagréments liés aux lenteurs, à l’immobilisme, à l’enlisement du processus de paix. Nous avons dit au gouvernement : attention, les principaux bénéficiaires d’un enlisement sont les groupes jihadistes, qui étendent leurs activités, non seulement au Nord, mais dans le reste du pays
Ce qui caractérise notre gouvernement, c’est qu’il n’a pas de plans mûris, il n’y a pas d’anticipation. C’est l’improvisation. C’est cette improvisation qui a conduit par exemple le gouvernement à accorder son appui au fameux forum de Kidal, sans en avoir étudié les contours précis. Toujours est-il que le processus de paix semble de nouveau sur les rails, malgré les lenteurs pendant 6 à 9 mois.
Toujours dans l’optique de faire avancer les choses, vous avez organisé une nouvelle rencontre le 28 février 2016
Le 28 février, toujours à l’initiative de l’opposition, nous avons organisé à Bamako une réunion plus grande, plus large que celle du 15 décembre, qui a regroupé les principaux dirigeants de la majorité, de l’opposition, les principaux chefs militaires et politiques des groupes armés du Nord, et les représentants de la société civile. Tous ensemble ce jour-là, nous avons fait un diagnostic de la situation qui prévalait au Nord de notre pays. Un diagnostic de l’état du processus de paix à cette date. Tous ensemble, nous avons dit qu’il était indispensable que les fils du Mali conjuguent leurs efforts pour sortir le pays de la situation dans laquelle il se trouve.
Malheureusement, les incompréhensions majorité/opposition n’ont pas permis de donner une suite immédiate et vigoureuse à cette initiative. C’est dommage. C’était la première fois que les principaux chefs militaires et politiques de l’ex-rébellion rencontraient les forces vives du pays à Bamako. Nous aurions dû, et les pouvoirs publics maliens auraient dû tirer les enseignements qui s’imposaient pour pouvoir avancer. On ne peut pas réussir la paix sans l’implication effective de toutes les forces vives du pays, sans une appropriation nationale de l’accord d’Alger. C’est important de ne pas l’oublier, l’accord d’Alger a été négocié par le gouvernement avec les groupes armés du Nord, en même temps c’est un accord qui s’applique à tout le pays.
Par ce processus que nous avons commencé le 15 décembre 2015 et que nous avons poursuivi le 28 février 2016, nous avons voulu démontrer au pouvoir public et à la communauté internationale qu’il est possible d’avoir autour d’une table pour discuter, les quatre composantes des forces vives du pays : l’opposition, la majorité, les groupes armés du Nord, la société civile.
Le 12 avril, les partis de l’opposition se sont retirés du Cadre de concertation opposition/majorité présidentielle. Comment comprendre cette démarche ? Les incompréhensions majorité/opposition sont aussi irréconciliables que cela ?
Nous voulons emmener le gouvernement à mettre fin aux initiatives unilatérales. Le Mali est plongé dans une crise multidimensionnelle, il ne peut en sortir que par une discussion sérieuse et honnête entre les acteurs politiques. Nous voulons dire au gouvernement qu’il ne peut pas continuer à convoquer la classe politique à des réunions et prendre des décisions sans une discussion sérieuse. C’est pourquoi nous avons dit au gouvernement ce jour-là, en nous retirant du cadre de concertation que nous en avons assez des mesurettes qu’on prend ça et là, sans concertation réelles.
L’accord de paix signé par le gouvernement a des incidences évidentes sur la constitution du Mali. Nous lui avons sans cesse dit de créer les conditions de réformes institutionnelles, constitutionnelles. Faisons en sorte que notre constitution soit adaptée à l’accord.
Par incidences, vous faites notamment allusion aux autorités intérimaires qui doivent être installées au Nord ?
Si le gouvernement qui excelle dans l’immobilisme n’avait pas traîné les pieds, ces réformes auraient eu lieu et l’opposition n’aurait pas soutenu que les autorités intérimaires ne sont pas conformes à la constitution. Nous avons un gouvernement qui ne semble pas prendre la mesure de la gravité de la situation dans laquelle le pays se trouve. Il attend que les événements lui imposent ce qu’il y a lieu de faire, alors que nous avons besoin d’un mouvement d’ensemble, d’une démarche globale qui prenne en compte les graves enjeux auquel le pays est confronté. Les engagements que le gouvernement a pris à Alger, c’est qu’il faut réviser la loi électorale, la constitution en tenant compte de l’accord d’Alger. Des fois, nous nous demandons si les membres du gouvernement ont lu l’accord, qu’ils ont pourtant signé.
L’opposition avait prévu une marche le 23 avril, avant de la reporter, en raison de l’état de santé du président. Quel message avez-vous voulu passer en agissant ainsi ?
Notre constitution fait du président de la République la clé de voûte des institutions du pays. Nous sommes un pays de croyants, où la compassion, la solidarité vis-à-vis de ceux qui sont malades sont des valeurs cardinales. Ce qui a emmené l’opposition, au regard de l’annonce par le gouvernement de l’absence du chef de l’Etat, de son opération (le 12 avril), à surseoir à sa marche. Dieu merci, le président se porte bien désormais, la vie reprend son cours, la lutte reprend son cours. Raison pour laquelle nous avons reprogrammé la marche pour le 21 mai. Ce sera une marche pour défendre le Mali, le préserver contre les dérives du pouvoir actuel. Ce sera une marche contre la mauvaise gestion du dossier du Nord, contre la mauvaise gouvernance, les surfacturations… ce sera une marche pour demander au gouvernement de mettre fin au pilotage à vue, à l’improvisation, pour lui demander des concertations nationales.
Estimez-vous que l’opposition malienne joue suffisamment son rôle de contre-pouvoir ?
Quiconque vit dans ce pays, quiconque suit la situation politique au Mali sait que l’opposition joue son rôle. C’est une opposition républicaine et démocratique, qui est consciente de la fragilité de la situation de notre pays, qui l’est même plus que le gouvernement. C’est pourquoi nous posons des actes réfléchis, républicains et démocrates.
Quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle du processus de paix, près d’un an après la signature de l’accord d’Alger ?
Un an après sa signature, au-delà de l’enlisement et de l’immobilisme, le Mali est dans une situation quasi-inextricable. Des pans entiers du territoire national échappent au contrôle de l’Etat. L’insécurité est là dans toutes les contrées du Nord. Les violences meurtrières survenues dans le cercle de Tenenkou il y a une dizaine de jours sont là pour rappeler que les 4e (Ségou) et 5e (Mopti) régions du pays sont également affectées. En résumé, le Mali est cerné, coincé, entre ceux qui n’étaient pas à Alger, c’est-à-dire les groupes terroristes qui étendent leurs activités sur l’ensemble du territoire, et ceux qui y étaient, c’est-à-dire les mouvements armés signataires de l’accord, qui ne parlaient pas le même langage mais qui se sont réconciliés depuis le processus d’Anéfis. Vous avez un gouvernement au leadership faible, qui est coincé entre les premiers qui continuent à mettre le feu au pays, et les seconds qui ne demandent qu’une chose : l’application de l’accord.
Il y a donc lieu de s’inquiéter de la situation actuelle ?
Oui. Le Mali est un pays menacé, nous devons en prendre conscience. Le pays fait à des attaques terroristes tous azimuts et n’arrive pas à gérer sa situation intérieure à tel point qu’il y a une sorte de métastase de la situation vers nos voisins. Les attaques contre Ouagadougou, Grand-Bassam sont parties du Mali. C’est dire que si nous n’y prenons garde, la situation intérieure malienne pourrait déborder et affecter nos voisins, nos frères, qui sont à nos côtés depuis que nous nous sommes trouvés dans des difficultés en 2012.
En 2013, vous étiez d’avis qu’un autre Mali est possible, qu’en est-il maintenant ?
Je continue de croire qu’un autre Mali est possible, que nous avons le devoir de le dessiner, de le réaliser. Pour nous-mêmes, mais plus important, pour nos enfants. Nous n’avons pas le droit de laisser à nos enfants un pays incertain.
Vous avez sans doute entendu parler de cette accusation portée par le journal L’Observateur à l’encontre de votre frère de l’opposition Soumaïla Cissé (dont un transfert de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Ecobank de 27 milliards FCFA lui appartenant, aurait été bloqué par la France. Qu’en avez-vous pensé ?
C’est totalement ahurissant. Le directeur national de la BCEAO a fait un démenti dans la presse. Je crois que cela devait couper court à ces allégations sans fondement. Dans un pays normal, c’est une histoire qui était terminée. Je crois que les Maliens ont d’autres chats à fouetter que de s’occuper de cette histoire abracadabrantesque.
Par Roland KLOHI
Source : Le Républicain
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